Vue sur le passé…
Cela faisait des mois et des mois que David avait regagné la station spatiale Treizième Lune. C’était son bébé. Il avait fait dessiner des plans, investi tout son argent dans sa construction. Puis il avait fallu réaliser des tests avant de la conduire dans l’espace. La Terre se mourrait. Pour lui, hors de question de rester là. Son avenir était ailleurs. Il en avait l’intime conviction. Il savait que son projet était fou. Qu’on le prendrait pour un fou. Cependant, il réussit à réunir une équipe de choc. Tous étaient prêts à le suivre au-delà de l’atmosphère terrestre. Le plus grand moment de leur vie fut lorsque la station décolla et franchit la stratosphère. Ils savaient que c’était là un voyage sans retour. Mais c’était une concession qu’ils étaient tous prêts à faire. Surtout que parmi eux se trouvait un scientifique pas comme les autres… En effet, Veerk était un génie dans son domaine. Il imaginait d’incroyables inventions dont l’usage dépassait l’entendement de la majorité des gens. Malgré cela David n’aurait jamais imaginé ce dont Veerk était réellement capable… A peine quelques mois après leur immobilisation dans une partie très éloignée de leur galaxie, Veerk avait cru bon de mettre en route l’une de ses inventions. Selon lui, elle permettrait d’ouvrir des failles sur des univers méconnus. Bien entendu, même si ses capacités cérébrales n’étaient plus à prouver, l’équipage de Treizième Lune ne savait pas trop quoi penser… D’autres univers ? Que renfermaient-ils ? N’était-ce pas quelque chose de dangereux ? Une multitude de questions les taraudait. Mais Veerk était sûr de lui. Qui plus était, il avait sous la main des armes dissuasives. Capables de rendre qui que ce fut ou quoique ce fut inoffensif. Avant d’appuyer sur le gros bouton rouge de lancement de son générateur de failles, Veerk s’était équipé d’un canon à rayons ioniques, dont l’onde pouvait assommer n’importe quelle créature. La machine vibra. Des éclairs fusèrent de sa structure ovoïdale. Un gros BOOM retentit avant de laisser apparaitre une faille lumineuse. Sans que personne ne comprenne ce qu’il se passait Une jeune femme blonde, vêtue d’une cuirasse mauve surgit de l’ouverture avant que celle-ci ne se referme dans un son aigu. Son corps avait été comme projeté. Elle gisait inconsciente face contre le sol métallique de la station. L’infirmière de Treizième Lune, que tout le monde appelait Bubulle, se précipita pour vérifier si la nouvelle venue respirait toujours. Elle souffla, rassurée. Elle demanda à David et Veerk de porter l’étrangère sur une table d’auscultation de l’infirmerie. Après divers examens elle affirma que les constantes étaient bonnes. Cependant, la jeune femme ne se réveilla pas. Même des jours après son arrivée, ses yeux restaient clos. Craignant pour la vie de sa patiente, Bubulle alla voir Veerk. Elle savait qu’il avait créé des caissons d’hibernation. C’était au cas où quelque chose de grave se passerait sur Treizième Lune. Veerk songeait à une chose bien précise depuis l’arrivée de cette inconnue. Il n’arrêtait pas de répéter son idée à David. Il avait créé une nouvelle machine. Mais David refusait d’en entendre davantage. Cependant lorsque Bubulle vint à sa rencontre, il saisit l’opportunité de mettre quelqu’un dans sa poche. Il lui expliqua alors son idée. « Bubulle, commença-t-il. Bien sûr que nous pouvons utiliser les caissons pour cette jeune femme. Mais n’aimerais-tu pas en savoir plus sur elle ? Comment elle va réellement… là-dedans ? » Veerk toquait de son index sur sa tête pour appuyer ses propos. Bubulle était intriguée. Qu’avait-il encore imaginé ? « Veerk… Où veux-tu en venir ? — Eh bien vois-tu, j’ai branché une nouvelle machine au caisson. Elle se connecte à l’esprit de la personne qui y est enfermée et projette ses pensées via un système holographique au centre de la pièce. Juste ici. » Veerk emmena Bubulle à l’endroit dont il venait de parler. Intriguée, mais comprenant que si elle voulait sauver la vie de la jeune femme, elle accepta l’idée du scientifique. Sans concerter leur chef, les deux équipiers déplacèrent la patiente de l’infirmerie à la salle des caissons. Ils l’installèrent aussi confortablement que possible. En effet, Veerk avait étudié différents manuels d’ostéopathie afin de créer le caisson le moins néfaste pour le corps humain. La banquette semblait plus élevée par endroits pour soutenir des parties du corps qui le nécessiteraient comme par exemple les cervicales et les reins. Veerk abaissa la paroi vitrée du caisson et lança la procédure d’hibernation. Un léger souffle émanait de l’appareil. La patiente semblait reprendre des couleurs. Bubulle ne comprenait pas réellement comment fonctionnait ce dispositif et demanda alors au scientifique d’éclairer sa lanterne. « Vois-tu, l’air qu’elle respire est chargé de nutriments. Pas besoin de perfusion. Tout passe par le gaz qui voyage dans ces gros tuyaux que tu vois ici. » Bubulle suivit du regard la main de son ami. En effet, des conduits reliaient les caissons à une autre partie de la machine qui comprenaient des gros bocaux de gaz. Constatant que ses caissons fonctionnaient réellement (il n’avait pu concrètement pas les tester avant, faisant de l’étrangère son cobaye…) il céda à la tentation de changer de pièce discrètement afin d’ouvrir une nouvelle faille avant même que Bubulle ne réagisse. Cette fois-ci ce fut un jeune homme qui atterrit de leur côté. Tout aussi inconscient que la première voyageuse. Mais Veerk, prit d’une folie, continua à ouvrir d’autres failles, faisant ainsi arriver d’autres individus. Bubulle paniqua et courut prévenir David. Veerk était devenu incontrôlable. Le chef dut demander à l’infirmière de se calmer car il ne comprenait rien à ce qu’elle disait. Lorsqu’elle eut récupéré son souffle elle réussit à expliquer la situation à David. Ce dernier se précipita vers la salle des portails et trouva des corps inanimés. Il se tourna vers l’autre entrée de la pièce, opposée à celle qu’il avait emprunté, et remarqua que Veerk portait un jeune homme sur son épaule, comme un sac à patates. Il le rejoignit alors qu’il installait l’individu dans un caisson. Ce fut alors que David constata que la première arrivée était confortablement installée dans une caisse d’hibernation. « Bon sang Veerk ! Qu’est-ce que tu fiches ? — Je fais ça pour la science. Et me dis pas que je suis fou. Tu es au moins tout aussi fou que moi. La preuve en est de cette station. Puis franchement, tu n’as pas envie de savoir qui ils sont et d’où ils viennent ? — Tu les voles à leur monde et à leurs proches, s’écria Bubulle le cœur brisé. — Je suis sûr de pouvoir les renvoyer chez eux. J’ai enregistré les fréquences de chaque ouverture de faille. — Mais enfin Veerk. Je t’avais dit qu’il ne fallait pas faire ça. » Veerk se déplaça et martela son clavier avant de se tourner à nouveau vers son chef. « Maintenant qu’ils sont là, soit on les laisse mourir à même le sol, soit on les installe dans les caissons et tu cliques sur ce bouton pour en apprendre plus sur eux. » David dévisagea le scientifique. Il était tiraillé entre un souci déontologique de la part de l’homme, et sa curiosité. David aimait lire. Vraiment beaucoup. La fantasy, le surnaturel et la science-fiction. C’était d’ailleurs peut-être de là que l’idée de la station Treizième Lune lui était venue ? Le chef fronça les sourcils. Et sans mot dire, il quitta la pièce. Il ramassa l’un des corps inconscients et revint pour l’installer dans un caisson. Il répéta cela autant qu’il y avait d’individus dans la salle des failles. Veerk le regarda en souriant. Un sourire un peu flippant. Vous savez, ce regard de savant-fou ? Eh bien c’était exactement cette expression qu’avait Veerk en cet instant. Lorsque David eut fini de rapatrier les « victimes » du scientifique dans les caissons il ordonna sur un ton sans appel à Bubulle et Veerk de quitter la pièce. L’homme tourna sur lui-même en regardant toutes les caisses d’hibernation. Il pouvait voir chaque individu au travers des parois vitrées. La jeune femme blonde l’intriguait depuis plusieurs jours. David s’avança vers le moniteur connecté aux caissons. Il fixa l’écran qui indiquait « Appuyer sur entrée pour lancer la projection ». Il poussa un râlement en tapant des poings à côté du clavier tout en se penchant tête baissée et yeux fermés. Sans que rien ne laisse présager cet acte, il se redressa et cliqua d’un coup sec sur le bouton « Entrée ». Au centre de la pièce, juste derrière lui, un hologramme coloré commença sa projection…